Les portraits de la rentrée : Anne, fondatrice des Antigones

Thérèse – Bonjour Anne, pouvez-vous vous présenter aux lectrices en quelques mots ?

Anne – Je suis une des fondatrices du mouvement féminin Antigones, dont j’assume aujourd’hui la présidence. À l’époque de la création du mouvement, je venais de terminer mes études – littéraires – et je commençais ma vie professionnelle. Depuis, je me suis mariée, me suis installée à la campagne, et j’ai la joie d’être la mère de deux jeunes enfants. Je n’en suis qu’au début de grandes aventures !

T – Comment en êtes-vous venue à créer le mouvement Les Antigones ?

A. Ce n’est pas moi à proprement parler qui ai créé le mouvement mais Iseul Turan et Mathilde Gibelin. Suite à l’infiltration de Femen, Iseul a créé avec Mathilde un mouvement féminin en espérant proposer une autre vision des femmes que celle que fait prédominer le féminisme actuel. Elles nous ont proposé avec Fanny et Isabelle Collin de participer à la création du mouvement. Nous partagions toutes les cinq la conviction que le sujet des femmes et de la féminité est central dans, disons, la bonne marche du monde. Nous partagions ce constat négatif que le refus de la différence entre les sexes et, pour les femmes du féminin, nous coupe d’une part essentielle de notre identité sur le plan personnel, et crée par conséquent un déséquilibre dans la société sur un plan plus politique et social. Sur une note plus positive, nous étions, et sommes encore, persuadées que de rétablir cet équilibre participerait à poser les fondements pour une société plus équilibrée, plus juste, et à apaiser les femmes sujettes aujourd’hui à tant d’injonctions contradictoires et de nouveaux dictats (en vrac, le marché, la consommation, la mode, la productivité, l’égalité…).

T – Quelles sont les missions principales des Antigones et leur objectif ?

A. Lorsque nous avons créé le mouvement, nous nous sommes donné comme objectif de porter un discours vrai sur la féminité, fondé sur le présupposé d’une complémentarité entre hommes et femmes, et de réfléchir aux problèmes concrets des femmes françaises contemporaines. Nous avons ainsi eu l’occasion de parler autant de sujets de fond comme la défense des libertés publiques, Antigone oblige, ou encore du rapport entre la maternité et le travail, de la famille comme fondement de la société, de l’infertilité croissante des couples, de suivi de grossesse et d’accouchement… que de sujets plus contextuels comme les méthodes de régulations naturelles, la liberté scolaire, les contes de fées ou encore le foot féminin ! Nous avons en effet en parallèle nourri notre réflexion sur la féminité et la complémentarité et répondu à l’actualité telle qu’elle se présentait. Nous ne sommes jamais mis de tabou en termes de sujets !

T – Quel regard portez-vous sur le féminisme actuel ?

A. Nous avons toujours présenté le féminisme avec Antigones comme un héritage à dépasser. Le féminisme est un courant de pensée parmi d’autres, avec sa diversité interne et sa cohérence aussi. Ces courants de pensée sont nés d’une époque déjà en pleine déchristianisation, déjà matérialiste à l’extrême, et se sont nourris d’autres courants de pensée à mon sens délétères. Quelques exemples concrets. Celui de Simone de Beauvoir évidemment, qui pense la maternité comme un « asservissement à l’espèce ». Évidemment, elle part de la conception sartrienne de la liberté comme pure auto-détermination. Alors forcément, quand la liberté ne consiste qu’à s’auto-déterminer, être enceinte, gérer des bébés, les nourrir, les consoler, veiller sur eux des années durant, ça ressemble à une prison.

De même, aujourd’hui, les féministes ne sont que le pur produit de leur époque : refus des limites, mêmes celles de la biologie, de l’autorité, de toute structure sociale considérée comme oppressive… les féministes françaises contemporaines pensent les femmes comme un groupe parmi d’autres qui composent la société et ne considèrent les interactions entre ces groupes que comme des liens de domination et/ou de soumission. Ce n’est qu’une forme parmi d’autres de communautarisme mal placé, au même titre que les groupes de défense LGBT, ou de défense des minorités racisées. Tous ces mouvements politiques sont d’ailleurs nés à la même époque, dans le même contexte, et ont évolué dans le même sens. Pour dépasser cet héritage que représente le féminisme, il faut passer par l’analyse pour en critiquer les fondements mêmes. Parce qu’au-delà de ses différences et de ses débats internes, ce courant de pensée se fonde tout de même sur un corpus intellectuel de concepts communs à mon avis tous profondément faux : le patriarcat, la culture du viol, le féminicide… autant de concepts séduisants au premier abord mais erronés dans leur nature même – je vous renvoie à nos articles sur le sujet sur le site des Antigones.

T – Pour vous, qu’est-ce que la féminité ?

A. La féminité est une question bien différente du féminisme à mon sens – et d’ailleurs bien oubliée des féministes. Parler de féminité, c’est s’intéresser aux femmes dans ce qu’elles ont de singulier, dans leur vécu subjectif, mais c’est aussi bien sûr chercher quelque part à capter – même si nous n’y arriverons jamais vraiment – l’essence du féminin. Ce qui oblige à le replacer à sa place en regard du masculin, comme couple fondateur au même titre que le sacré et le profane notamment. C’est une réflexion qui part de l’observation, de la loi naturelle, pour aller jusqu’au spirituel. Nous nous sommes limitées à la première partie de cette réflexion avec Antigones car le mouvement est non-confessionnel, justement en considérant que c’est cette part « naturelle » de la féminité et de la complémentarité qui peut être partagée et communiquée à nos contemporains le plus facilement. Cela ne m’empêche pas à titre personnel de poursuivre cette réflexion sur le plan spirituel, éclairée par ma foi catholique.

T – Dans notre société qui perd tous ses repères, il y aurait beaucoup de choses à faire pour revaloriser une féminité vraie et assumée. Par où commencer selon vous ? Formation, action, … ?

A. J’ai commencé à répondre à la question lorsque nous avons parlé de féminisme. Pour celles qui sont inspirées par le débat politique et philosophique, il s’agit de critiquer les fondements intellectuels du féminisme d’une part, et surtout, de réfléchir sur ce que signifie concrètement la complémentarité homme / femme en termes d’organisation sociale, de Justice, d’organisation familiale, etc. Je pense que c’est désormais important même pour celles qui ne sont pas spécialement militantes de prime abord de se former à partir du moment où arrivent des enfants. Non seulement personne aujourd’hui ne leur proposera de discours vrai sur la complémentarité et la féminité (les Teen Star et équivalents sont des initiatives géniales à ce titre, mais n’abordent qu’une partie de ces questions), mais de surcroît ils seront nourris directement et indirectement de la doxa contemporaine sur le sujet. C’est à nous, parents, et mères notamment, de palier à ce manque éducatif. C’est un défi nouveau puisque ces notions n’auraient pas à être expliquées dans une société où elles seraient réellement vécues, mais ce défi est devenu essentiel à relever.

Il y a bien sûr bien d’autres voies pour faire revaloriser la féminité. D’abord et avant tout découvrir, apprivoiser, et éventuellement se réconcilier avec la sienne pour la faire rayonner ! Antigones a été pour moi comme pour beaucoup d’amies du mouvement l’occasion de beaucoup grandir de ce point de vue-là. Réfléchir sur ces questions, revenir sur nos vécus et expériences personnelles mais en cherchant à en tirer des leçons plus universelles, échanger entre femmes sur nos idées, nos envies, nos idéaux… tout cela m’a fait grandir à plus d’un titre. Plutôt que de jouer les ligues de vertu à vérifier ce que font les autres, soyons nous-mêmes des exemples à suivre. C’est d’ailleurs particulièrement vrai je pense pour votre sujet, celui de la mode et de la pudeur. Se couvrir pour se couvrir et pouvoir ensuite aller chercher des poux à la voisine n’a guère d’intérêt ni pour soi, ni pour les autres. Personne n’est convaincu de changer ses habitudes par des jugements et des reproches. Une femme élégante et radieuse dont la pudeur apparaît comme une évidence plus qu’un jugement aura bien plus de chances d’inspirer les femmes et les jeunes filles de son entourage à lui ressembler.

Dans la même veine, donner des beaux modèles de femmes inspirantes me semble être une autre manière positive et motivante de renouer avec une féminité vraie, dans toute sa diversité et sa richesse. C’est d’ailleurs exactement ce qu’on fait pas mal de mouvement féministes en brandissant des figures de proue, en exhumant de l’histoire des femmes fortes qui portaient leurs idées. Les reines de France, les saintes de toutes extractions, les aristocrates qui ont tenu les salons qui ont fait le rayonnement culturel de la France pendant des siècles, les archétypes féminins (Artémis, Freya, Athéna…) que proposaient les mythologies anciennes mériteraient d’être explorés à nouveau.

T – Si vous deviez donner un conseil à toutes les femmes qui vont vous lire pour les aider à être des femmes épanouies et heureuses dans leur féminité, quel serait-il ?

A. S’écouter, toujours. C’est un art qui s’exerce. À l’heure de la liberté de tout faire, les femmes vivent entourées de dicktats qui varient selon leurs milieux professionnels, familiaux, amicaux mais qui dans tous les cas finissent par nous pousser à la schizophrénie. Des études courtes ? Longues ? Les abandonner pour un mari, un bébé ? Faire des enfants ? Combien ? Arrêter de travailler ? Prendre un mi-temps ? Reprendre le travail ? Maternité bienveillante, malveillante, avec ou sans cris ? À l’heure où nos parcours ne sont pas aussi clairement tracés qu’ils ont pu l’être à d’autres époques, il s’agit de faire des choix libres et qui ne correspondent pas seulement à nos envies, mais aussi à nos valeurs, nos idéaux, et à ce que nous voulons construire pour nous-mêmes, notre foyer présent ou à venir, et pour la société qui nous entoure.

Se nourrir de belles lectures, de belles images, d’exemples inspirants, qu’il s’agisse de femmes imaginaires ou bien réelles, de l’histoire ou de votre entourage. Se nourrir aussi de la fréquentation des autres femmes, plus jeunes, plus âgées, de votre entourage amical et de vos familles. Même lorsque nous ne faisons pas les mêmes choix ou que nos opinions divergent. Nous manquons dans notre organisation sociale contemporaine de ces moments « entre femmes » qui permettent d’entrevoir la beauté et la complexité de la féminité. Je ne parle pas des atmosphères de copines, mais de moments partagés qui permettent l’échange entre les générations, entre les sphères sociales à la façon des corvées anciennes, des moments de vie comme les suites de couches qui réunissaient les femmes d’une même famille et les voisines autour de l’accouchée…

T – Pour conclure, pourriez-vous partager avec nous votre citation favorite ?

A. Barbey d’Aurevilly, Un prêtre marié, « il y a des individualités qui valent des races, peut-être parce qu’elles sont faites pour en fonder ! ». Soyons de celles-là, par notre discipline personnelle, la hauteur et la noblesse de nos idéaux, et par notre joie rayonnante !

Merci Anne d’avoir répondu à mes questions 🙂

Pour en savoir plus, rendez-vous sur la page Facebook des Antigones, leur site ou leur chaîne YouTube.

Crédits photos : Anne Trewby et Les Antigones.

2 réflexions sur “Les portraits de la rentrée : Anne, fondatrice des Antigones

  1. Marica dit :

    Merci, Thérèse, pour cette découverte ! Et merci de partager ces belles images, poétiques et empreintes d’idéal. Ces photographies me touchent autant que les mots, c’est une merveilleuse idée de la part des Antigones d’en faire un élément fort de leur site.
    Je dois dire que, de manière générale, c’est au moins autant les images que vous partagez sur le blog que les mots qui m’ont donné envie de suivre vos conseils. Merci ! On a besoin d’avoir des modèles à la fois concrets, poétiques et qui nous font rêver, pas seulement des mots. Les deux sont complémentaires et sur le blog et vos chaînes, le résultat est génial !

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