Pascaline, l’élégance en toutes circonstances (portrait)

Bonjour Pascaline, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Pascaline, j’ai 25 ans et je suis mariée depuis août 2019. Après deux années de classe préparatoire littéraire, j’ai migré vers la vieille Sorbonne pour apprendre la philosophie, expérience qui a constitué l’une des plus enrichissantes de ma vie. J’ai obtenu en 2018 un master en Histoire de la philosophie, et je prépare actuellement un projet de thèse en philosophie médiévale. Je viens d’une famille catholique et nombreuse (huit frères, une sœur), mais j’ai suivi mes classes de collège et de lycée « dans le monde », puisque j’étais scolarisée dans le privé sous contrat (qui ressemble furieusement au public, quoi qu’on dise). J’ai appris très tôt – à mes dépends – que j’étais différente, que je ne respectais pas les standards et les passions de la jeunesse « normale » et, avec mon fatal esprit de contradiction, j’ai décidé que je ne satisferais pas l’esprit grégaire de mes compatriotes et que – même si je saisissais pas encore l’enjeu de ce choix (j’avais douze ans) – je ne me trahirai pas. J’ai donc toujours porté des jupes et des robes mi-longues, absolument partout où j’allais, même si ce n’était pas toujours très joli parfois (errances d’adolescence obligent !).

Comment t’es venue ta passion pour les tenues vestimentaires rétro ? Pourquoi avoir créé le compte Instagram En toutes élégances ?

Une petite précision avant toute chose : il faut distinguer le vintage et le rétro. Les vêtements vintage sont des vêtements authentiques d’époque (entre les années 20 et 80), alors que le rétro désigne des vêtements de facture moderne mais « copiés » sur des tenues d’époque. Je préfère le vintage pour beaucoup de raisons, entre autres pour la qualité et le confort des tissus qui n’a rien à voir avec ce qu’on trouve aujourd’hui (sauf si on a un budget conséquent, et encore !). Ce n’est pas forcément plus difficile à trouver, et c’est surtout plus qualitatif. Ma passion dans ce domaine n’est jamais vraiment née, dans le sens où j’ai toujours baigné dedans (question de moyens, j’ai été habillée toute mon enfance avec les vêtements d’enfant de mes tantes). J’y suis naturellement retournée lorsque je me suis rendue compte de la qualité médiocre du marché actuel de la fast fashion et lorsque le vintage a commencé à faire son grand retour, notamment avec l’essor de plateformes de vente de seconde main comme Vinted. En parallèle, j’ai toujours admiré la grâce naturelle des icônes comme Audrey Hepburn ou Grace Kelly et regretté l’uniformisation (et la laideur) de la mode actuelle. En fouillant sur Vinted, je suis tombée sous le charme de l’originalité de certaines marques vintage et de certains styles, qui m’ont naturellement « convertie », s’il était besoin, au concept.

C’est en découvrant le blog Femme à part, en 2016, que je me suis rendue compte de l’importance de la pédagogie vestimentaire. Il ne suffit pas de regretter le mauvais goût actuel, s’il l’on veut changer les choses ! J’ai envoyé plusieurs fois des photos de mes tenues que Thérèse partageait le jeudi, et voyant qu’elles plaisaient bien, je me suis lancée sur Instagram pendant le premier confinement. L’élégance en toutes circonstances, c’est le mot d’ordre de ce compte. L’élégance n’est pas seulement esthétique, elle est également éthique (l’élégance du cœur) et relève d’un patrimoine, d’un héritage de civilisation, apanage d’une certaine grandeur d’esprit ; l’élégance française, qui a fait la renommée mondiale de Paris, mérite aujourd’hui sinon qu’on la fasse renaître, du moins qu’on lui rende hommage.

Qu’aimerais-tu transmettre à travers ton compte Instagram ?

Je pourrais évoquer beaucoup de choses, mais elles se résument principalement en deux points :

• D’une part, je souhaite cultiver le goût du beau véritable, à la fois esthétique, dans le respect de soi qu’impose la modestie (par exemple), et éthique, dans l’incarnation d’un idéal du cœur, une beauté morale et intellectuelle que j’essaie de transmettre dans les tenues et les textes que je publie. L’élégance, c’est aussi l’incarnation d’une cohérence entre le style et l’esprit. L’expression extérieure, pour être vraie, doit venir de l’intérieur : un rayonnement n’est véritable que s’il est vécu.

• D’autre part, l’épanouissement et la construction de l’identité de chacun sont selon moi extrêmement importants pour le salut personnel et, a fortiori, le bonheur. Il s’agit non seulement de se construire en tant qu’homme, mais également de découvrir la singularité qui nous fait individuels et différents. La marque impersonnelle de Dieu en nous (qu’on appelle en philosophie médiévale l’imago Dei) se redouble d’une spécificité irréductible de l’un à l’autre : chacun exprime de Dieu une facette différente, et a comme responsabilité de la découvrir pour se cultiver pleinement comme parfait et atteindre ainsi la sainteté, en y entraînant les autres. La construction de l’identité propre s’accompagnant toujours d’une manifestation de soi, il s’agit alors de permettre la coïncidence entre ce que nous sommes et ce que nous paraissons, dans une quête métaphysique de vérité.

Mon goût pour l’originalité du style est dans ce contexte très logique ; il serait aberrant de copier les styles des autres, quand le style consiste proprement dans la manifestation singulière de ce que l’on est. Il ne s’agit pas du tout de rejeter les « règles » vestimentaires de la décence, entre autres, puisqu’un style s’épanouit justement dans des limites précises (la liberté réclame des contraintes pour s’exercer, comme en art ; autrement elle n’a plus de sens et n’exprime plus rien). J’essaie donc d’encourager chacun à la quête de sa propre valeur et à l’expression juste de soi.

Quels sont les avantages de l’élégance vintage ?

J’ai, à la demande de la délicieuse Hanna du blog Apprendre les bonnes manières, déjà rédigé un article à ce sujet, dont je récapitule ici les points principaux. Les avantages que j’y vois sont les suivants :

• un avantage économique, en fonction de l’endroit où l’on cherche bien sûr (secours populaire, vide greniers, marchés, Emmaüs, ventes au kilo …). Attention car le succès du vintage allant grandissant, il peut devenir parfois cher !

• un avantage de qualité, de confort et de durabilité. Les tissus sont plus naturels, donc plus confortables, plus solides, et ont une espérance de vie beaucoup plus longue !

• un sérieux avantage écologique puisque la recherche de seconde main consiste à offrir aux vêtements une seconde vie. Même pour ceux qui répugnent à acheter neufs du cuir ou de la fourrure, cela peut représenter une bonne alternative ! Le réflexe de récupération change notre point de vue vis-à-vis du vêtement, qui, d’accessoire, acquiert un statut de porteur d’identité.

• un avantage esthétique, dû en partie à la qualité et à la quantité des tissus, et également aux coupes plus flatteuses, plus longues, plus structurées. Les vêtements vintage respectent souvent des critères d’élégance et de féminité que l’on n’ose plus arborer aujourd’hui parce que considérés comme dépassés, conservateurs ou représentatifs d’une féminité politiquement critiquée.

• un avantage du point de vue de la liberté d’expression. Le marché vintage offre un panel extrêmement large de styles, de coupes, d’esprits qui n’ont rien de conservateur et sont souvent beaucoup plus originaux que ce que le prêt-à-porter permet aujourd’hui. Ma conviction est que chacun peut y trouver son style et s’épanouir dans cette recherche. Le caractère unique et rare de chaque pièce est une bénédiction pour la signification singulière de l’expression de soi. L’utilisation du vintage ne signifie pas qu’il faille copier le plus fidèlement possible les tenues d’époque ; au contraire, le succès du vintage aujourd’hui se comprend dans un contexte de réinterprétation des modes, qui confirme la liberté d’esprit du vintage actuel.

• Enfin, l’élégance vintage est selon moi la manifestation d’une mémoire vivante, un hommage aux générations qui nous ont précédé et qui ont incarné à l’apogée de notre culture leurs codes vestimentaires dans une délicatesse toute occidentale. Il est malheureux de constater à quel point cette culture se perd (et la délicatesse qui va avec). Je conçois ma garde-robe comme une collection de pièces uniques que j’espère léguer à mes enfants, pour leur transmettre un peu de cet amour de la beauté et de la véracité qui m’anime.

Tu accompagnes toujours tes publications Instagram de belles et profondes réflexions philosophiques. Pourquoi ? Est-ce encore possible d’avoir ce genre de réflexions à notre époque et, qui plus est, sur les réseaux sociaux ?

Parce que je crois à la valeur de l’expression singulière, je voulais que mon compte Instagram soit pour moi un lieu de développement personnel. Mon style vestimentaire n’est pas dissociable de ma façon de penser et de comprendre le monde, qui est en grande partie intellectuelle et poétique. Je critique autant le prêt-à-porter que le prêt-à-penser. Dans un souci constant de dépasser le dualisme actuel (qui fait des ravages) creusé entre le corps et l’esprit, je tente de présenter une complémentarité, une indissociation constitutive entre ce que j’analyse du monde, ce que je comprends de moi et la façon dont je me présente aux autres. Encore une fois, c’est une entreprise de vérité. La liberté de penser est aujourd’hui extrêmement brimée, de façon très insidieuse puisque la tyrannie actuelle passe par une déformation de l’instruction et de l’éducation et un matraquage permanent de l’opinion personnelle. Mon anticonformisme s’inscrit dans le souci de renouer avec la vieille injonction philosophique de penser par soi-même (qui ne signifie pas de penser sans sources, au contraire) et rejoint l’importance de la valeur individuelle.

Les textes qui accompagnent mes publications ne sont que la suite logique de l’existence de mon compte : donner envie aux autres d’acquérir un style de pensée aussi bien que vestimentaire, qui sont deux faces d’une même réalité. Ce qui compte, c’est le travail permanent de construction de soi, par lequel l’idéal de la perfection nous rend toujours meilleurs. Si, par la même occasion, cela peut ouvrir les yeux sur des réalités actuelles ou philosophiques, alors tant mieux ! A notre époque, et d’autant plus dans le milieu catholique où l’on se repose beaucoup sur ses acquis, il est essentiel de former son esprit. L’utilité première de la philosophie, c’est d’apprendre à penser en structurant ses raisonnements et en acquérant l’exigence de la précision et le souci de la vérité. Tout le monde n’est pas destiné à philosopher chaque jour, toutefois je reste persuadée que c’est un passage essentiel. S’il est difficile de trouver aujourd’hui des personnes qui comprennent cela, c’est malheureusement un fait de société, les décisions politiques réduisant constamment les exigences intellectuelles et morales, au point que l’amour des idées devient une espèce en voie de disparition.

Il est très difficile de mettre en place ce genre de paradigme sur les réseaux sociaux. D’une part parce qu’ils ne sont pas faits pour ça, notamment avec la limitation de caractères sous une publication qui m’oblige à compresser ma pensée et qui la rend parfois plus tranchée que ce que je voudrais, et d’autre part parce qu’il n’existe aucune communauté de ce type sur le réseau que j’utilise – en l’occurrence Instagram. Je n’ai donc pas de « garantie » que les gens lisent mes textes à chaque fois – d’ailleurs je crois que peu de personnes le font – néanmoins je ne changerai pas cette façon de faire, fruit d’une démarche métaphysique, dont j’espère qu’elle portera au moins quelques fruits !

Peux-tu partager avec nous l’une de tes citations favorites ?

« La vérité vous rendra libres. » (Jean, VIII, 32). La vérité n’est pas une quête qui se réduit au langage ; pour être complète, elle doit être vécue dans notre chair, dans la relation que chacun a à soi-même en tant qu’Homme et en tant que personne. Pour un esprit honnête, la quête de vérité est l’entreprise d’une vie. Il s’agit de coïncider pleinement à sa nature et à son individualité la plus intime, et d’harmoniser ce microcosme à « la grande musique du monde », pour citer les médiévaux. Sur ce point, je suis absolument l’optimisme médiéval qui, à la suite de saint Augustin, considérait la vérité comme pure manifestation : la vérité triomphe toujours ; et, aujourd’hui, c’est souvent le bon sens qui préserve des erreurs.

Nos héritages sont des jalons précieux, des garde-fous nécessaires, mais ils ne doivent pas devenir un frein à l’épanouissement intellectuel et personnel qui est, plus que jamais, nécessaire à la crédibilité et au rayonnement de notre parole en tant que catholiques. L’apostolat n’est jamais très loin de la formation personnelle qui, pour être sincère et mener à des convictions profondes, doit être discriminante ! S’interdire de s’interroger, c’est déjà accepter la mort de l’esprit.

Merci Pascaline pour ces belles réflexions ! Retrouvez son compte Instagram juste ici.

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Crédit photos : Pascaline.

9 réflexions sur “Pascaline, l’élégance en toutes circonstances (portrait)

  1. Melanie M. dit :

    Merci Thérèse pour ce portrait de Pascaline. J’aime beaucoup la lire. Elle pose de mots élégants, raffiné mais aussi très profond.
    Ces quelques mots posés sur Instagram auront porté au moins un fruit : le mien.

    Un grand bravo à toutes les deux, Thérèse et Pascaline, pour ce que vous apportez.
    Mélanie M.

  2. Cantilène dit :

    Sans doute suis-je à l’inverse de la plupart des abonnés de Pascaline: je lis et apprécie davantage encore ses textes que ses photos (au demeurant très inspirantes aussi) !

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